Dragons | Pv.Jacob.

Ca le tiraillait de toutes parts. A un tel point qu'il ne savait même plus d'où provenait exactement la douleur. A un tel point qu'il en venait à se demander s'il était entier.

Son esprit à demi abruti par le coktail de médocs qu'il avait ingurgité ployait sous une douleur lancinante et infinie. Il se sentait progressivement engourdi et réduit à l'état d'une boule de nerfs à vifs dans laquelle un monde entier semblait vouloir donner des coups de griffes et de crocs.
La démarche plus que bancale, Jacob trainait sa carcasse, laissant de temps à autres des mouchetures sombres sur le sol, qu'il s'empressait généralement d'étaler lorsque ses chaussures déjà bien sales venaient ripper dedans. S'appuyant sur sa pelle - lorsqu'il ne repoussait pas d'un geste mécanique les mains qui s'avançaient vers lui -, il allait progressivement, lentement, et chaque pas semblait comme une éternité douloureuse, et chaque centimètre parcouru était comme un grand pas en arrière, et cette damnée sortie n'avait de cesse de s'éloigner, à ses yeux. Il avait l'impression qu'il ne l'atteindrait jamais.
Un brouillard noir obscurcissait son champ de vision et de nouveau, deux étaux.
Comme tout à l'heure.
Merde.
Jacob bascula sur le côté mais parvint à ne pas chuter cette fois-ci. Deux goules - heureusement plus frêles que les précédentes - venaient de se jeter sur lui sans le moindre ménagement. Il n'eut même plus la force d'avoir une sueur froide ; d'un geste découragé, presque las - surtout très endolori -, il asséna un violent coup de genou dans la cage thoracique du premier et un coup de coude dans la tête du second - tous deux l'ayant plus ou moins saisi par la taille - avant de les achever d'un coup de pelle bien avisé, quoi que déjà bien plus maladroit que précédemment au vu de l'état de faiblesse dans lequel il se trouvait désormais.
Son souffle n'était plus qu'un râle de mort et un horrible goût de sang lui emplissait toute la gorge. Exténué, il demeura là quelques instants, appuyé contre sa pelle.
Et les goules n'avaient de cesse de resserrer le cercle autour de lui.
Un bruit soudain, non loin de lui, fut comme une décharge électrique dans sa tête. Cette Bête continuait de les poursuivre.
Etouffant une complainte désemparée, il pivota de nouveau et reprit sa cavalcade, si pathétique soit-elle - Jacob ne pouvait plus trop courir, en fait, Jacob était à demi-comateux.

Et toujours pas la moindre trace de Morgan.

Quelque chose sembla siffler, dans sa tête.

A vrai dire, si Jacob avait porté la main à son oreille droite, il aurait pu voir qu'un mince filet de sang s'en écoulait - pour se perdre dans le torrent d'hémoglobine qui s'échappait du reste de ses plaies. Mais ça, Jacob ne pouvait le savoir. Il était bien trop occupé à tenter de sauver sa peau. A essayer de mettre un pied devant l'autre sans perdre l'équilibre. A serrer les mâchoires pour tâcher d'oublier la douleur qui le rongeait tout entier. Et à se demander quel pouvait être ce sifflement qui l'alertait tout à coup.
Par pur réflexe, il tourna la tête sur le côté ; juste à temps pour voir un Morgan réduit à l'état de tas de chair sanglante réussir à se dégager de l'étreinte mortelle de Guernica, entre deux claquements de crocs, et deux caresses surmontées de griffes. Voir cet homme d'ordinaire si robuste ainsi amoché lui coupa le souffle. Il papillonna des yeux et Guernica déjà avait disparu parmi les goules. Comprenant qu'il pouvait ressurgir à tout moment et que c'était surtout le moment ou jamais de tenter quelque chose, Jacob bondit. Enfin, bondit au ralenti. Ou plutôt, essaya de ne pas tomber lamentablement lorsqu'il s'avança d'un pas rapide - " rapide "... - vers le blond, esquivant quelques zombies qui se trouvaient sur sa route, et le saisit par le bras sans grande force pour le tirer dans sa direction, dans la direction de la porte.

- Amène-toi, souffla-t-il dans un râle rauque. On dégage.

Et sans un mot de plus - le seul fait d'articuler ceux-là avait littéralement été une torture pour lui -, il entraîna l'homme avec lui, titubant, écartant les mains aux ongles jaunis et aux doigts gangrénés qui se tendaient vers lui dans un geste bien plus mécanique, bien moins assuré qu'auparavant, priant pour atteindre le hall du mall, et, dans un petit, tout petit recoin de sa tête...
... priant pour que Morgan n'ait pas été mordu.
Pour que ni lui, ni l'autre homme n'aient pas été contaminés.
A vrai dire, à présent qu'il parvenait à trouver une issue, cette seule pensée suffisait à l'effrayer bien plus que la perspective d'avoir à ses trousses une véritable abomination de la nature qui devait au bas mot peser plusieurs centaines de kilos.
De muscles.
De griffes.
Et de crocs.
Plusieurs centaines de kilos de rage, de bestialité, et de folie pure.
Et cette chose était là, quelque part, non loin d'eux, et pouvait frapper à tout moment.
Ce fut presque une délivrance lorsqu'ils franchirent le seuil de l'armurerie, dans le sens de la sortie cette fois. L'air lui parut bien plus frais. Les zombies, bien moins laids.
Mais le chemin qui menait au Refuge demeurait incontestablement long. Et semé d'embuches.
Il doutait d'y parvenir vivant.