Paumé # Libre

Encore une fois.

Pour une fois qu'il n'avait pas regardé le plan - vous savez, ce fameux plan avec le "you are here" en gros et en rouge dessus - dans la cage de l'escalier de service. C'était bien la première fois qu'il omettait de le faire, et évidemment, cela lui avait été fatal. Icare n'était réputé nulle-part pour son sens de l'orientation, et s'il excellait dans tout un tas de domaines, s'il jouait du violon comme un Dieu, s'il n'avait plus rien à prouver à personne une guitare dans les mains, il avait toujours eu un peu de mal à différencier sa droite et sa gauche. Le centre commercial étant un peu en ruine, les grosses flèches explicatives signalisant les divers magasins s'étaient légèrement effacées. Alors évidemment, il s'était perdu.

Cela faisait bien une heure qu'il errait dans Holy Market à la recherche de la sortie, d'une porte donnant sur l'escalier de service. Ou un plan. N'importe quoi, pourvu que cela l'aide à se repérer ! Il passa pour la soixante-douzième fois devant ce magasin de fringues gothiques et poussa un profond soupir. Le musicien avait mal aux pieds, et commençait à en avoir marre de tourner en rond. Il s'arrêta devant la vitrine, fixant la devanture d'un oeil un peu vide.

Alors qu'il la longeait, son regard se posa sur une boutique qui, s'il était passé devant maintes et maintes fois, n'avait pas attiré son attention.

Un disquaire.

Il poussa un juron. Un putain de disquaire, pour le fan des 70's qu'il était, c'était le paradis ! Toute motivation retrouvée, le jeune homme pénétra à l'intérieur.

Pour la énième fois de la semaine, Morgan descendit jusqu'au premier étage du mall qu'était Sun City, dévalant deux à deux les escaliers qui y menaient.
Il parcourut d'un pas léger les allées, nullement pressé, passant devant les magasins sans vraiment s'arrêter devant l'un d'entre eux. Il marchait tout simplement, en quête d'un peu d'action et d'occupation. Peut-être irait-il renflouer un peu son stock de vêtements, histoire de renouveler un peu les vêtements trop usés par le combat et dont les tâches rougeâtres ne daignaient plus partir. Non, il ferait ça plus tard, peut-être en virée shopping.
En attendant, il franchit l'arcade ornée de l'écriture en grosses et sobres lettres qu'était celle de Holy Market. Il contourna les flaques de sang séchées sur le sol, ne laissant son empreinte nulle part. Un bref regard vers les magasins de nourriture sur sa droite, et il se décida plutôt pour un magasin de la gauche.

En ces quelques mois, il fallait dire que les aliments frais ne s'étaient pas très bien conservés. Il en résultait une odeur de pourriture bien avancée qui s'échappait de chacun de ses magasins, et venait se joindre à celle de décomposition émanant des goules et autres zombies. Ça ne donnait absolument pas envie de s'y aventurer, et encore moins de bon matin. A moins d'être privé d'odorat...

Il toisa l'enseigne d'une des boutiques. Disco Fury. Aussi loin que remontait ses souvenirs, il ne lui semblait pas y a voir déjà été. Ou peut être très brièvement. Il se décida donc à y entrer, jetant quelques regards autour de lui. Un magasin de musique et de goodies, fort bien.
Il s'avança dans les différents rayon, plus ou moins étroits selon le bordel qu'il s'y trouvait. Il finit par faire tomber un grand bout de tissu sur le sol, qu'il ramassa en déployant. Il s'agissait là d'un drapeau représentant celui de l’Angleterre et portant l'écriture The Who. Bah, si ça pouvait servir à quelqu'un, notamment de couverture ou de protection contre les zombies... Il le prit avec lui, même s'il le mettrait sans doute dans les stocks communs.

S'avançant encore dans la boutique, il finit par surprendre un autre rescapé, qu'il avait déjà croisé au refuge mais n'avait jamais abordé. Et bien, c'était donc le moment pour le faire.


" Tu cherches quelques chose de spécial ? "


S'il pouvait se rendre utile, tant qu'à faire.

Un véritable gamin.

Il allait et venait entre les rayons, s'émerveillant comme un enfant de quatre ans lâché dans un magasin de jouets. Bon certes, la grande majorité des articles étaient jetés à terre, de nombreuses étagères étaient renversées, mais il n'en avait que faire. Certains détails, tels que l'absence de chaîne stéréo ou de platine vinyle au refuge ne l'avait pas vraiment effleuré ; combien de fois s'était-il retrouvé dans un tel magasin, pestant de n'avoir pas assez d'argent pour acheter la moitié du magasin ?

- Tu cherches quelques chose de spécial ?

Icare fut tiré de son rêve coloré au goût de marshmallow en moins de trois secondes. Retrouvant des réflexes que quelques mois dans un centre commercial infesté de zombie avaient rendus automatiques, le musicien se retourna, arma son lance-harpon et s'apprêta à tirer... Avant de se souvenir, simple détail, que les zombies ne parlaient pas.

Après tout, la voix du nouveau venu était calme, amicale. L'homme, grand blond aux yeux bleus - COPAIN -, ne lui était pas inconnu. Morgan. Certainement le réfugié le plus investi dans le refuge, incroyablement serviable et attentionné. Il n'avait beau le connaître que de nom, sa réputation l'avait précédé.

- Désolé.

Aramis baissa son arme. C'est alors qu'il remarqua que Morgan tenait dans ses mains une bannière à l'effigie des Who. Tiens, tiens.

- Rien de particulier, mais on n'est jamais à l'abri de bonnes surprises...

C'est alors qu'au milieu des éclats de disque qui parsemaient le sol, Icare remarqua une pochette qui semblait intacte. Il se baissa, ramassant l'objet : Dire Straits ; Alchemy, Live

. C'était mieux que ce qu'il imaginait. Bon certes, il n'avait aucun moyen de l'écouter, mais c'était le genre de perle qu'il avait longtemps cherché à ajouter à sa collection. Il le glissa soigneusement dans son sac, veillant à ne pas l'abîmer.

- La preuve...

Il marqua un temps. Et histoire d'abréger ce qui devrait encore se finir en présentations lentes et laborieuses - en plus, ils sont deux blonds alors je sens que je vais finir en panne de synonymes x_x :

- Morgan, c'est ça ? Je suis Icare.

A l’entente de sa voix, le jeune ne tarda pas à réagir, se retournant en un mouvement pour pointer vers lui son arme, prêt à tirer visiblement. Un lance-harpon... Non, il ne ferait pas le poids face à ça, aucun de ses parents n'avaient daigné lui transmettre le gêne de l'invincibilité malheureusement. Un petit sourire figé sur ses lèvres, Morgan se contenta de lever légèrement les mains, jusqu'à ce que l'autre baisse son arme en s'excusant, ce à quoi il répondit d'un signe de la main qu'il n'en prenait pas compte.


" Rien de particulier, mais on n'est jamais à l'abri de bonnes surprises... "

Il avait raison. C'était là tout l'attrait des fouilles. On entrait dans un magasin sans savoir avec quoi on allait sortir. C'était le hasard qui régissait les trouvailles, et vous faisait tourner pendant cinq topics redondants dans un même lieu pour trouver un foutu objet un tant soit peu particulier -et oui, ça sentait le vécu-.
Tout en finissant sa phrase, le blond plus jeune que lui était parvenu à trouver un vinyle sur le sol délabré, en parfait état. Dommage qu'il n'y eut pas de tourne-disque au refuge pour permettre aux vinyles de tourner... Peut-être y en aurait-il un ici. Il regarda distraitement dans les alentours, sans en apercevoir. Bien dommage...


" Morgan, c'est ça ? Je suis Icare. "

Il hocha brièvement la tête, puis prit à son tour la parole.


" C'est bien ça. Alors, enchanté Icare. "

Formalité faites, ils pouvaient désormais parler de tout et de rien. D'un bref mouvement de la main, il désigna son sac et le vinyle fraichement rangé dedans.


" Branché groupes des années 70 ? "

C'est qu'il avait bon goût.

- Branché groupes des années 70 ?

...Comme une Fender à son ampli.
Icare releva la tête. Il esquissa un sourire. En quelques mots, Morgan avait trouvé la clé. Icare n'était pas quelqu'un de franchement loquace. Icare n'était pas ouvert, Icare se faisait souvent chier avec les autres, mais bordel, Icare aimait la musique. Vraiment. C'était la première chose qu'il avait regretté en arrivant ici : il avait laissé son violon dans l'appart' qu'il occupait avant, ainsi que sa guitare et la totalité de sa discographie, discographie qui comptait majoritairement dans ses rangs du rock des 70's, ce qui me permet de faire souplement le lien entre ce paragraphe et la question de Morgan.

- Assez, ouais.

Euphémisme.

- Trouver ce disque ici, c'est comme trouver un diamant dans une poubelle. Si seulement on pouvait se trouver une platine, ce serait vraiment du gâchis de ramener une pépite pareille sans pouvoir l'écouter au refuge...

Il regarda l'album, que son compagnon d'infortune avait désigné de la main. Il le connaissait bien, celui-là. Deux disques, quatre faces d'un enregistrement live monumental, de morceaux qui n'en finissaient pas. Des heures à l'écouter en boucle, en long, en large, en travers. La simple pensée de Sultans of Swing et de ses dix minutes de duel entre guitare et batterie, une des performances qu'il admirait le plus à
ce jour, lui tira un frisson de plaisir.

-T'es mélomane aussi ?

Réponse positive, il avait donc bel et bien de véritables goûts musicaux. La majorité des groupes mythiques étaient nés dans ces années là, et dieu qu'on ne pouvait que se sentir bien en les écoutant, même quand on avait un putain de coup de blues.


" Trouver ce disque ici, c'est comme trouver un diamant dans une poubelle. Si seulement on pouvait se trouver une platine, ce serait vraiment du gâchis de ramener une pépite pareille sans pouvoir l'écouter au refuge... "

Tu m'étonnes mon gars. La métaphore était juste. Morgan hocha la tête, prenant la parole rapidement.


" Y aurait moyen d'en trouver une dans la discothèque du troisième étage, ou à défaut de le faire tourner au moins. "

Elle était après tout des plus équipée, du moins assez pour faire tourner quelques disques. Il lui semblait d'ailleurs avoir vu des vinyles durant sa dernière escapade au cœur de la boite de nuit. Il faudrait y organiser une soirée, une fois... Pour fêter un évènement quelconque, tant que ça leur donné une bonne raison de faire la fête.


" T'es mélomane aussi ? "

Une question quasi rhétorique.


" Depuis toujours. "

Il avait baigné dans la musique. Il y avait constamment un morceau qui se jouait quelque part, que ça soit la radio émettant la dernière fréquence dans la cuisine, un morceau qui s'échappait d'une fenêtre ou d'une voiture d'un voisin, sa grand-mère qui grattait sur son banjo un morceau de bluegrass rock en faisant toner sa voix cassée. Même dans les voitures de police, on laissait jouer l'autoradio si quelqu'un ne daignait siffler machinalement une chanson, ainsi que le vieux poste d'un des geôliers en prison.
Et maintenant, silence radio.


" Tu sais jouer de quoi ? "

Même pas la peine de lui demander s'il savait déjà jouer d'un instrument, la réponse était trop évidente. C'était un grand oui. Il n'était cependant pas mentaliste, et ne savait donc pas sur quel instrument il était capable d'effectuer des prouesses.
Lui était plus branché basse et batterie, mais sa mère l'avait quelque peu forcée à exercer le piano pour avoir au moins "quelque chose de noble" parmi ses choix.

- Y aurait moyen d'en trouver une dans la discothèque du troisième étage, ou à défaut de le faire tourner au moins.

Alors ça, c'était intéressant. Diablement dangereux et extrêmement osé, mais incroyablement intéressant. C'était typiquement le genre d'idée parfaitement stupide qui charmait Icare : pour avoir un accès un tant soit peu sécurisé à la discothèque, il faudrait faire un nettoyage intensif, un bon coup de karsher anti-zombies, et l'opération commando anti-Guernica leur avait montré les risques et limites de cette opération : lui même ne s'en était tiré indemne, son épaule arborait encore les cicatrices dues aux attaques de zombies.

Toutefois, cela restait envisageable, pour peu que ce soit un minimum organisé.

Ce n'était toutefois pas cette idée qui avait germé dans l'esprit d'Icare. Lui avait envie d'y aller là, maintenant, tout de suite, dans cette discothèque. Cela faisait bien trop longtemps qu'il n'avait pas entendu de musique 'en vrai'. Ni concert possible, ni bonne chaîne stéréo au refuge, il devait se contenter du peu de musiques que contenait son MP3. Et en plus, il ne pouvait même pas jouer.

Alors qu'il réfléchissait, un objet sur le sol attira son attention : il se baissa machinalement pour le ramasser. Un pendentif en forme de médiator. Il souris : c'était typiquement le genre de trucs qu'il aurait adoré porter, quelques années plutôt. Désormais, il se contentait de trouver ça kitchissime. Boarf, peut-être que ça intéresserait quelqu'un, au refuge. En haussant les épaules, il le glissa dans son sac.

Il s'apprêtait à faire part de son idée à Morgan quand celui-ci, le devançant, lança :

- Depuis toujours. Tu sais jouer de quoi ?

Coupé dans son élan, Icare marqua un temps d'arrêt. Ça sentait bon, là.

- J'ai pris quelques cours de piano et je me démerde à la gratte. Mais mon instrument préféré, c'est le violon. Ah, et j'ai toujours un harmonica sur moi, aussi.

Bon à vrai dire, il était relativement touche à tout, ce qui expliquait la variété de ses compétences musicales. Bordel, que c'était bon de parler musique avec quelqu'un !

• -Tu crois qu'il y aurait moyen qu'on aille faire un tour à la discothèque là, maintenant ?

C'était idiot... En plus, le bruit attirait les zombies.

" J'ai pris quelques cours de piano et je me démerde à la gratte. Mais mon instrument préféré, c'est le violon. Ah, et j'ai toujours un harmonica sur moi, aussi. "

Voilà qui tombait bien. Son instrument préféré était donc le violon, instrument qu'il avait d'ailleurs trouvé il n'y a pas si longtemps que ça dans le magasin de musique situé non loin d'ici et portant le doux nom de Symphony. Fort bien, il avait donc trouvé son violoniste !


" Tu crois qu'il y aurait moyen qu'on aille faire un tour à la discothèque là, maintenant ? "

Ses paroles n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd, comme on disait. Le jeune avait donc bel et bien envie de s'y rendre pour y passer son morceau, si les platines le permettaient encore. Ce qui serait sans doute le cas, il doutait fort qu'elles aient été endommagé durant l'invasion zombie et l'élan de panique généré dans le mall, étant donné qu'il fallait prendre un escalier unique pour s'y rendre, ce qui n'était pas vraiment une excellente cachette.
Morgan hocha la tête, un fin sourire sur les lèvres.


" Bien sûr ! "

Il quitta sa place sur le comptoir, se remettant droit. A peine eut-il posé le pied par terre qu'une goule sortie d'en dessous le meuble se rapprocha dangereusement de lui, sa main agrippée à son mollet. Putain de goule de merde. Étouffant un juron, son talon vint froidement à la rencontre du front de l'individu, l'explosant sans ménagement. Il ne gâcherait pas une balle pour lui. Son affaire réglée, il reprit bien rapidement ses esprits et reporta son attention sur l'autre bllond. D'un bref signe de tête, il invita Icare à le suivre.
Il n'y avait plus qu'à grimper jusqu'au troisième étage maintenant.